Biographie de Roger Van Rogger

Roger Silberfeld, qui prendra très tôt le nom de Roger Van Rogger, fut un peintre et poète flamand né à Anvers en 1914 et mort à Bandol en 1983.

Sa vie, marquée par un succès fulgurant suivi d'une misère salvatrice, se déroulera hors du monde de l'art, dans celui de la fatigue de ceux qui travaillent.
«Je suis si fatigué que je ne peux même pas concevoir la peinture. Je ne suis plus un peintre. Comme c'est agréable de ne pas être obligé de, sans cesse, tout ramener à la création! Je suis un homme ordinaire. Ah! que la vie est simple, que la vie est facile! Cela ne m'est jamais arrivé! » confiait-il à son épouse quelques jours avant de mourir.

Né dans une famille juive d'origine polonaise, Roger Silberfeld est orphelin de mère à l'âge de trois ans.

Dès ses sept ans il traîne dans les églises et les musées anversois et belges, admirant les grands maîtres flamands de toutes époques.
Très tôt, sa vocation de peintre est formée. C'est pourtant vers la poésie qu'il se tournera d'abord : à quatorze ans, il fait partie du cercle poétique dirigé par Marie Gevers et publie un premier recueil, La Vache creuse.
Lors de ses dix-huit ans, sa famille refusant de le laisser étudier la peinture, il la quitte pour ne plus jamais la revoir.

Il part en France, dans le Nord. C'est en Belgique qu'il est arrêté le 10 mai, sans raison apparente, sinon peut-être ses origines juives, bien qu'il ait déjà changé son nom en prenant le patronyme flamand (la langue qu'il aimait à parler avec les domestiques de ses parents) de Roger Van Rogger (Roger fils de Roger).
«Aussi à 18 ans, décidai-je d'être ma propre Sorbonne, ma propre race et mes propres ancêtres» a-t-il dit plus tard.

Enfermé au camp de Saint-Cyprien, dans les Pyrénées Orientales, il ne tarde pas à sympathiser avec ses geôliers… pour mieux s'évader quelques mois après son arrivée.

Grand admirateur de Jean Giono à l'époque, il part le rencontrer dans les Basse Alpes. Giono l'emploie alors quelque temps comme métayer dans sa ferme du Criquet. À cette époque, Van Rogger est accompagné d'une femme, Julya, avec qui il partagera sa vie quelque temps.
Les relations entre lui et Giono se détériorent assez vite, comme en témoigne un passage du livre de Pierre Magnan.

Finalement, pour une histoire de cochon promis que Giono ne voulut pas donner à son métayer, et par peur d'une dénonciation aux autorités de la part de l'écrivain, Van Rogger quitte Giono et s'engage dans la Résistance.

Il fait alors la connaissance de René Char avec qui il se lie d'amitié.
Sa peinture à cette époque est figurative, assez proche des cubistes, tout en étant marquée par l'influence flamande. Finalement, recherché, il est contraint de s'exiler.

En 1943, il passe au Pays basque (en reconnaissance, il enverra une gouache lors de la grâce de militants d'ETA en 1973, et qui se trouve toujours à Bayonne, au musée Bonnat) et part enfin pour le Brésil.

Van Rogger restera sept ans au Brésil. «En partant de zéro on peut rester en-deçà de la vérité du jour, on peut répéter des vérités que tout le monde sait, mais on peut aussi refaire sa véritable éducation humaine. Il n'est pas facile de faire de l'art au Brésil », écrit-il à l'époque, dans une brochure explicative qui lui fut demandée pour une exposition.

Car Van Rogger expose en Amérique du Sud.

Il décrit admirablement alors le choix qui se pose à lui:

«L'artiste est […] amené à choisir entre deux attitudes : “grosso modo” la spirituelle et la temporelle.
La spirituelle en fait un solitaire, un révolté volontaire ou involontaire, un attardé ou un Savonarole.
Cela consiste à maintenir une tradition, à fuir certaines caractéristiques familiales de notre époque, à être qualifié de vague prophète ou de réactionnaire ou d'inutile.
L'autre attitude consiste à vouloir rénover complètement toutes les données, les bases mêmes de l'art, sa structure historique, lui donnant la même fonction qu'une machine-outil et la même durée limitée. Cela consiste à donner à l'art non l'esthétique de notre temps — ce qui serait normal — mais sa morale d'opportunisme.»

De fait la seconde voie semble s'offrir à lui, puisqu'on le sollicite beaucoup.

Il expose notamment à New York, aux côtés de Picasso, Pollock, etc…
Le Museum of Modern Art de New York entre dans ces collections une Descente de Croix.
Il rencontre à cette époque les peintres Kaminagai, Viera da Silva, Arpad Szenes, Wilhelm Woeller ou encore le sculpteur Augusto Zamoisky.

Mais la vie quotidienne de Van Rogger à Rio était matériellement difficile.
La guerre finie, Van Rogger veut rentrer en Europe.

En 1950 il regagne la France, quittant sa compagne Julya qui reste au Brésil.

À son retour en France, il retrouve René Char. Celui-ci l'invite dans sa résidence de l’Isle sur la Sorgue, et ils y constatent leurs affinités de poètes. Il tente au même moment de percer à Paris, s'installe dans un atelier.
Là, il rencontre Catherine Savard, une jeune étudiante à Sciences Politiques qui deviendra sa femme (il l'épouse à Copenhague en 1952) après avoir tout quitté pour le suivre.
Van Rogger et Char se brouillent irrémédiablement.

Catherine enceinte, il devient impératif pour le peintre de trouver un logement, même précaire. Finalement, ils acquièrent un terrain où trône une petite maison, sur la colline de Vallongues, à Bandol.
C'est là que mourra Roger trente ans plus tard.

C'est à cette période aussi que Van Rogger va se tourner définitivement vers «l'attitude spirituelle» qu'il décrivait quelques années plus tôt.

Volontairement et involontairement «ascète» (les galeries parisiennes le boudent), il se tourne vers l'art abstrait, et donne corps à une prolixe production de poète.

Loin du monde, le couple ne gagne sa vie que par les métiers intempestifs pratiqués par Roger ou Catherine.
Mais le peintre est peintre avant tout, et il passe ses journées à l'atelier.
Une admiratrice et amie américaine leur rétribue régulièrement des toiles, pour leur éviter de sombrer dans la plus noire misère.
Malgré tout le couple est guidé par l'art et ne se laisse pas abattre.

Van Rogger, finalement, ne pense même plus à exposer; il compose des toiles de taille immense, qui les rende impropres à l'exposition dans aucun musée.
Il orne Vallongues de sculptures énormes, en fait un territoire à part, imprégné de son oeuvre.

Le peintre meurt en mai 1983, laissant derrière lui des milliers de toiles et de gouaches, des centaines de dessins, des centaines de poèmes.

Peu de temps après sa mort, Catherine, son épouse, crée la Fondation Van Rogger, qui exposera les oeuvres à Bandol, jusqu'en 2009.

Après le décès de Catherine, puis de Christine, leur fille aînée et principale instigatrice de la Fondation, le lieu a dû fermer.
Hélène VAN ROGGER, fille cadette de Roger et Catherine, expose une partie des tableaux de son père, dans le Cotentin.

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